« École de la confiance » : qu’en est-il du devoir de réserve ?

L'expression publique des agents publics est soumise à des règles : devoir de réserve, devoir de discrétion professionnelle et secret professionnel. Le devoir de réserve est une construction jurisprudentielle, ce sont les juges qui apprécient au cas par cas les atteintes à l'obligation de réserve.

Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. (article 1 du Projet de loi sur l’École de la confiance)

Saisi du projet de loi « pour une École de la confiance » daté du 5 décembre 21018, le Conseil d’État demande au gouvernement de ne pas maintenir les dispositions énoncées dans son article 1 : pour le Conseil d’État, si elles expriment certaines des valeurs incontestables autour desquelles l’école républicaine est construite, elles ne font que réitérer des obligations générales du fonctionnaire sans produire aucun effet de droit. En effet, tout fonctionnaire est soumis au devoir de réserve, qui concerne non pas ses opinions mais leur mode d’expression.

Le Sgen-CFDT avait d’ailleurs déposé un amendement contre cette formulation, tant au Conseil supérieur de l’Éducation qu’au Comité Technique Ministériel.

L’observation du Conseil d’État nous donne l’occasion de rappeler les règles qui régissent la fonction publique et la manière dont les juges apprécient les modalités d’expression publique des agents.

Quelles sont les règles auxquelles l’expression des agents publics est soumise ?

jurisprudence droit de réserve fonction publique

Toute personne est tenue au respect de la vie privée, du secret professionnel ou du devoir de discrétion concernant les personnes, dont les enfants, et la transmission des informations. Tout fonctionnaire est aussi tenu à la discrétion quant au fonctionnement de son administration.

Les textes et la jurisprudence qui régissent la fonction publique distinguent clairement trois niveaux de discrétion :

Le devoir de réserve

Les fonctionnaires et agents contractuels sont soumis au devoir de réserve. Cette obligation de réserve concerne le mode d’expression des opinions et non leur contenu.

Ainsi, un agent public a le droit, en tant que personne, de distribuer des tracts pour un parti politique sur un marché (même autre que dans sa commune).

« L’obligation de réserve ne saurait être conçue comme une interdiction pour tout fonctionnaire d’exercer des droits élémentaires du citoyen : liberté d’opinion et, son corollaire nécessaire dans une démocratie, liberté d’expression. Ces droits sont d’ailleurs, eux, expressément reconnus par l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (…) ». – Réponse à une question écrite d’un député, publiée au Journal Officiel de l’Assemblée nationale (JOAN du 8-10-2001)

La discrétion professionnelle

Les agents publics sont soumis à une obligation de discrétion professionnelle concernant le fonctionnement de leur administration. Cette obligation leur impose d’éviter en toutes circonstances les comportements susceptibles de porter atteinte à la considération du service public par les usagers.

Un agent public ne doit pas divulguer les informations relatives à l’activité, aux missions et au fonctionnement de son administration. Ainsi, qu’il soit titulaire ou contractuel, un enseignant ne peut s’exprimer publiquement au sujet des élèves sans risque de sanction.

Le secret professionnel

Outre l’obligation de discrétion professionnelle, certains agents publics sont tenus, eu égard à leurs fonctions, au secret professionnel.

Cette obligation de secret s’applique aux informations relatives à la santé, au comportement, à la situation familiale d’une personne, etc., dont l’agent a connaissance dans le cadre de ses fonctions. Elle vise à protéger les intérêts matériels et moraux des particuliers.

Dans l’Éducation nationale, il s’agit davantage d’un devoir de discrétion que de secret professionnel au sens strictement légal. Quant à l’obligation au secret professionnel à laquelle sont tenus notamment les agents des centres médico-sociaux, elle n’empêche pas une collaboration avec le monde scolaire dans l’intérêt des élèves concernés.

Les motivations du Conseil d’État

La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires fixe les règles du secret professionnel et de la discrétion professionnelle, mais les rédacteurs du statut général ont choisi de ne pas intégrer le devoir de réserve aux obligations des fonctionnaires [1]. Ils ont préféré laisser à la jurisprudence le soin de définir le devoir de réserve et de traiter les situations au cas par cas.

En demandant la suppression des dispositions de l’article 1 du projet de loi « pour une école de la confiance », le Conseil d’État demande au gouvernement de ne pas « créer » pour les agents de l’Éducation nationale une obligation qui n’est pas prévue dans le statut général des fonctionnaires.

Si tous les fonctionnaires sont soumis à un devoir de réserve, celui-ci ne saurait être conçu comme une interdiction d’exercer ses droits élémentaires de citoyen (liberté d’opinion et d’expression). Ces droits sont d’ailleurs expressément reconnus par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

C’est la jurisprudence qui détermine au cas par cas les atteintes au devoir de réserve.

L’obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d’intensité en fonction de critères divers (nature des fonctions, place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s’est exprimé, modalités et formes de cette expression).

L’examen des décisions des juges administratifs (peu nombreuses [2]) témoigne d’une jurisprudence qui protège la liberté d’opinion et d’expression du fonctionnaire.

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Notes

[1] « Anicet Le Pors, qui fut ministre de la Fonction Publique de 1981 à 1984 et qui à ce titre fut l’auteur de cette loi de référence, a publié dans Le Monde du 31 janvier 2008 une tribune où il revient sur les principes qui ont guidé la rédaction de ces textes sur le statut général des fonctionnaires. Il y explique notamment que c’est volontairement que le devoir de réserve n’a pas été intégré aux obligations des fonctionnaires, laissant à la jurisprudence le soin de réguler certaines situations rares et très particulières : un amendement tendant à inscrire l’obligation de réserve dans la loi a été rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983, et il fut alors précisé que celle-ci était « une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. » (Wikipedia, « Devoir de réserve dans la Fonction publique française)

[2] « Pour Laurent Rabbé, tout cela est à relativiser : l’obligation de réserve existe bel et bien, mais « on voit toute la journée des policiers ou magistrats, fonctionnaires donc, exprimer publiquement leur désaccord avec les ministères concernés ». « Et, il faut l’avouer : il existe peu, voire pas de contentieux au sujet du devoir de réserve précisément, et encore moins concernant les bibliothécaires. » » (Actualitté, 19.10.2015, « Devoir de réserve : peut-on parler de tout lorsque l’on est fonctionnaire ? »)